Et si on parlait d'amour ? La question est moins cliché qu'il n'y paraît, surtout lorsque ce sont des romanciers contemporains qui se la posent. Claire Chazal accueille ainsi pour un nouveau numéro de « Au bonheur des livres » deux écrivains exceptionnels, qui ont en commun de parler du couple dans leurs nouveaux romans respectifs : Camille Laurens, pour « Ta promesse » (Ed. Gallimard), et Pascal Quignard pour « Trésor caché » (Ed. Albin Michel).
Quelle différence, cependant, dans le traitement d'un même thème !
Camille Laurens propose en effet, à travers ce qu'on pourrait appeler un « roman de procès », un tableau assez terrifiant du rapport d'emprise qui peut exister entre un homme et une femme, peut-être inspiré - puisqu'elle est l'une des figures les plus connues de l'autofiction - de sa propre expérience...
Claire Chazal pourra lui poser la question, de même qu'elle pourra interroger Pascal Quignard sur la part intime, et peut-être autobiographique de l'expérience qu'il relate dans son beau livre, où l'amour apparaît au contraire comme une forme de renaissance possible, l'âge venant, dans une harmonie qui est celle aussi de la nature et des éléments.
Ce sont en tout cas deux ouvrages importants, qui font l'actualité, et dont on ne peut être qu'être curieux de voir débattre leurs auteurs !
Année de Production :
Quelle différence, cependant, dans le traitement d'un même thème !
Camille Laurens propose en effet, à travers ce qu'on pourrait appeler un « roman de procès », un tableau assez terrifiant du rapport d'emprise qui peut exister entre un homme et une femme, peut-être inspiré - puisqu'elle est l'une des figures les plus connues de l'autofiction - de sa propre expérience...
Claire Chazal pourra lui poser la question, de même qu'elle pourra interroger Pascal Quignard sur la part intime, et peut-être autobiographique de l'expérience qu'il relate dans son beau livre, où l'amour apparaît au contraire comme une forme de renaissance possible, l'âge venant, dans une harmonie qui est celle aussi de la nature et des éléments.
Ce sont en tout cas deux ouvrages importants, qui font l'actualité, et dont on ne peut être qu'être curieux de voir débattre leurs auteurs !
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00:00Retrouvez « Au bonheur des livres » avec le Centre National du Livre.
00:05Générique
00:23Bienvenue dans l'émission littéraire de Public Sénat.
00:25Je suis ravie de vous retrouver pour un nouveau numéro d'« Au bonheur des livres ».
00:29Dans cette émission, vous le savez, chaque semaine, nous tentons de vous donner envie de lire
00:33et de découvrir ou de mieux connaître leurs auteurs.
00:35Alors avec nous, deux romanciers qui ont aujourd'hui pour héroïne, chacun,
00:42une femme d'environ 50 ans qui affronte avec plus ou moins de violence
00:48ou plus ou moins de douleur, j'allais dire la solitude,
00:51deux auteurs qui attachent aussi, bien sûr, l'un et l'autre,
00:53beaucoup de prix à l'écriture, aux mots, à la littérature.
00:57Camille Laurence d'abord, qui publie « Ta promesse » chez Gallimard,
01:00l'histoire de Claire confrontée à l'emprise toxique d'un homme
01:04qui exerce une violence psychologique sur elle.
01:08Et c'est sans doute l'histoire, c'est peut-être un peu trivial ce que je vais dire,
01:11mais d'un amour raté ou d'un ratage sentimental.
01:15Et puis Pascal Quignard qui signe « Michel Trésor caché »
01:19où Louise, seule elle aussi, marquée d'ailleurs par certains traumatismes de l'enfance,
01:25va plutôt nous montrer qu'on peut jouir de la solitude,
01:29s'en sortir, en profiter même, jouir de la nature,
01:34mais aussi de la brièveté d'un amour retrouvé.
01:37Et il y avait bien sûr, j'allais dire, deux tonalités un peu différentes dans ces deux livres.
01:42Alors Camille Laurence, d'abord merci beaucoup de venir nous voir au bonheur des livres.
01:48Vous pouvez bien sûr intervenir l'un et l'autre sur le livre de l'autre
01:51et la discussion n'en est que plus riche.
01:53Alors Camille Laurence, je précise que vous êtes membre de l'Académie Goncourt,
01:56vous avez reçu le prix féminin et le Renaud d'Eau des lycées en 2000 pour « Dans ces bras-là ».
02:02Vous êtes approchée de l'autofiction, souvent,
02:06mais vous avez aussi signé des essais, bien sûr.
02:08Vous vous intéressez, je le disais, à la langue qui est pour vous une matière vivante.
02:11Dans « Ta promesse », c'est un récit qui prend la forme d'une fiction policière
02:17parce qu'il y a vraiment quelque chose de l'ordre du suspense jusqu'à la fin,
02:20et on ne va pas révéler totalement à la fin, bien sûr.
02:23Claire, votre héroïne, est écrivaine et accusée de tentative de meurtre
02:28sur son conjoint, sur son compagnon qui lui est dans le coma,
02:30après des coups portés par elle, donc, sur Gilles.
02:34Et elle va expliquer au cours du procès comment elle en est arrivée là,
02:38comment ce processus s'est développé, c'est un processus d'emprise.
02:42Est-ce que vous avez eu des expériences personnelles,
02:45des expériences autour de vous, des exemples autour de vous,
02:48des expériences personnelles de cet ordre-là ?
02:51J'ai eu un petit peu tout cela, puisque, à la fois, comme vous le savez,
02:57j'écris beaucoup à partir d'expériences sensibles et personnelles
03:03ou que j'ai pu observer autour de moi, parce que j'écoute beaucoup
03:08et je regarde beaucoup ce qui se passe,
03:11soit dans mon entourage proche, soit dans le monde.
03:15C'est pour ça qu'il y a aussi une dimension politique, pour moi,
03:20à cette étude, cette analyse de l'emprise.
03:24Vous nous dites qu'il n'y a pas d'empathie.
03:26Nous vivons dans un monde où il manque d'empathie,
03:28où les violences psychiques sont présentes.
03:31Oui, parce qu'il y a de moins en moins de rapports à l'autre.
03:35Enfin, l'altérité semble devenir quelque chose d'assez flou et peu intéressant.
03:42Oui, c'est ce que je ressens et je l'ai mis en œuvre,
03:46si je puis dire, à l'intérieur d'un couple,
03:48mais on pourrait le trouver dans beaucoup d'autres domaines professionnels,
03:52dans les relations parentales et en politique.
03:55C'est ce que vous pouvez ressentir, Pascal Kiniart, sur cette société ?
03:58Peut-être à cause des moyens de communication rapides, violents parfois ?
04:03Est-ce que c'est quelque chose que vous ressentez ?
04:06Très bien, tout à fait, y compris même par rapport à ce qui nous entoure,
04:09la nature, la vie, l'histoire, l'autre et l'inconnu se résorbent beaucoup.
04:16Alors, ce qui frappe dans cette histoire de ratage amoureux,
04:21puisque Claire a été très amoureuse de Gilles, bien sûr,
04:24il y avait une promesse d'amour qui, donc, n'a pas été tenue,
04:27ô combien, ce qui frappe, c'est que finalement,
04:31on a l'impression qu'elle recommence les mêmes erreurs,
04:33qu'il y a forme de naïveté chez elle, qu'elle n'a pas tiré de leçon.
04:37Est-ce que ça, c'est une sorte de fatalité, Camille Laurence ?
04:40Oui, je ne sais pas si c'est une fatalité.
04:42En tout cas, c'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup.
04:45J'ai écrit tout un essai sur le processus de répétition.
04:49Alors, la répétition, ce qu'elle peut avoir de magique dans la musique, dans la poésie,
04:55mais aussi la répétition névrotique, c'est-à-dire le fait de recommencer toujours
05:00les mêmes erreurs, de rater les mêmes scénarios de vie.
05:04Et donc, c'est vraiment un sujet qui m'intéresse.
05:07Et là, je peux dire que je l'ai observé beaucoup en moi-même.
05:12Oui, c'est une façon, peut-être pas de ne pas tirer de leçon,
05:17mais de toujours croire à l'avenir.
05:22Mais c'est bien aussi, il me semble, de croire que c'est possible.
05:27Oui, à tout âge, d'ailleurs.
05:28Sinon, il ne se passe rien.
05:30Ce qu'on va d'ailleurs voir avec vous, Pascale Killard,
05:32c'est qu'à tout âge, c'est possible.
05:33On peut rencontrer.
05:34Oui, mais il n'y a pas que celui, il y a aussi l'autre qui en sorcelle
05:38et qui crée des pièges nouveaux à chaque fois.
05:40C'est vrai, c'est vrai, c'est ça.
05:43On tombe dans le panneau, j'allais dire, pour être là aussi encore un peu triviale.
05:48Alors là, évidemment, Camille Laurence, ce qui est différent,
05:51c'est que c'était la femme qui est accusée de violences.
05:53C'est la femme qui a porté les coups.
05:56Je voulais éviter le côté de la femme victime et le méchant.
06:01Ce qui arrive, ce qui est évidemment...
06:03Ce qui est fréquent, ce qui est le plus fréquent,
06:08mais je voulais l'éviter parce que c'est très difficile
06:13de prouver des violences psychologiques.
06:15Et je voulais montrer que, précisément,
06:18elle avait beaucoup de mal à faire entendre qu'elle était victime.
06:23Et donc, je l'ai représentée en en faisant une coupable.
06:27Et de fait, elle l'est, coupable,
06:28puisqu'en réalité, elle a été violente physiquement.
06:32Donc, elle est coupable, mais elle est victime en même temps.
06:36C'est ce qui rend la chose un petit peu difficile à expliquer et à comprendre.
06:41Vous voulez dire quelque chose, Pascal ?
06:43Non, c'est-à-dire qu'on ne peut pas lire la fin,
06:45mais elle est victime aussi d'une action qui n'existe pas.
06:49Oui, bien sûr. Alors, justement, on va suivre ce procès.
06:52Absolument, vous avez raison, Pascal Kinière, bien sûr.
06:55C'est ce qui fait aussi le sel du livre,
06:57c'est pas uniquement l'analyse psychologique de cette femme et de cet homme.
07:01Il y a quelque chose qui se déroule,
07:04de mystères et de secrets qui vont être levés,
07:07qui vont permettre de faire que le procès est dénoué.
07:10Alors, il y a plein de témoins qui vont succéder
07:12et qui vont raconter leur version au fond des choses.
07:17Alors, elle apparaît…
07:20Bien sûr, il y a des témoignages nuancés,
07:22mais on sent bien quand même qu'il y a eu le piège qui s'est refermé sur elle.
07:25C'est tout de même ce qui s'est passé.
07:27Oui, mais je souhaitais qu'il y ait malgré tout plusieurs points de vue,
07:33qu'il n'y ait pas une vérité qui soit seulement la sienne,
07:36d'autant plus qu'on n'a pas sa vérité à lui ou on l'a de biais,
07:41puisque j'ai choisi de ne pas le faire parler, lui,
07:45pour la raison très simple qu'il n'aurait dit qu'à peu près
07:49ce que dit Valmont dans Les Lisons Dangereuses,
07:51c'est-à-dire, ce n'est pas ma faute,
07:53c'est-à-dire cette façon de n'être coupable de rien
07:57qui est assez caractéristique de la perversité.
08:01– Alors ça, c'est un phénomène qu'on a de plus en plus analysé, c'est vrai,
08:05qu'on a fini par décrypter dans les générations plus récentes,
08:12pas seulement de féministes d'ailleurs,
08:14mais c'est une observation de la société que l'on fait.
08:16Est-ce que ce n'est pas, et j'avoue que moi,
08:19je crois que c'est souvent ce que j'ai constaté,
08:21peut-être aussi dans ma vie personnelle, pardon de cette touche un peu intime,
08:25mais les perverses s'empruntent à des femmes intelligentes,
08:29ou construites intellectuellement.
08:32– Oui, tout à fait, ça a été repéré dans de très nombreuses études,
08:37y compris sociologiques.
08:39Contrairement à ce qu'on pense souvent,
08:41d'ailleurs moi on me le dit beaucoup après la lecture de ce livre,
08:45oui, elle est un peu naïve, en gros c'est une cruche.
08:49– C'est l'inverse.
08:51– Voilà, c'est-à-dire que non, ça ne serait pas intéressant
08:54pour un manipulateur de triompher sans gloire,
08:59il faut qu'il triomphe de quelqu'un qui a du répondant.
09:05– Bien sûr.
09:06Est-ce qu'on peut dire que cette violence psychique,
09:11bien sûr que non, ce n'est pas que masculin, mais est-ce que...
09:14– Non, ça n'est pas que ça.
09:16– Merci Pascal.
09:17– Nous avons tous eu des mères qui ont aussi cette puissance d'éducation.
09:22Non, ce qui est très juste, c'est le fait que,
09:25si vous voulez vraiment détruire quelqu'un,
09:27il faut que ça soit intéressant à détruire.
09:30– Bien sûr.
09:31– C'est vrai pour un enfant, c'est vrai pour une femme,
09:33c'est vrai pour un homme aussi, bien sûr.
09:35Il suffit de petites touches, de petites méchancetés,
09:37de rabaisser avec subtilité l'autre,
09:40pour qu'ensuite une perte de confiance fasse qu'il s'autodétruise.
09:45Il n'y a pas de sexe pour ça.
09:46– Non, non.
09:47On a peut-être plus constaté, ou en tout cas la parole s'est libérée,
09:50donc on a compris que c'est ça qui s'est passé.
09:52– Oui, et puis sous l'angle sociologique,
09:54c'est beaucoup associé au dernier avatar de la domination masculine.
10:00– Oui, voilà.
10:01– Effectivement, il y a aussi des femmes, bien sûr.
10:04– Ce qui frappe, c'est qu'elle n'a pas de stratégie pour sa défense,
10:06elle n'a pas tellement de stratégie, c'est clair.
10:08– Elle n'a pas de stratégie parce qu'en fait,
10:11elle est surprise, je crois qu'on ne s'attend jamais vraiment
10:16au mal que quelqu'un a pu nous faire.
10:19Je ne sais pas, moi j'ai plutôt une confiance dans l'innocence des gens,
10:25et donc l'innocence vraiment au sens littéral,
10:28la capacité à nuire, et c'est ce qui lui arrive,
10:33elle croit qu'il est bon.
10:38– Oui, c'est ça, il va s'avérer plus compliqué que ça.
10:41Il y a beaucoup de jalousie dans les ressorts des deux personnages.
10:45Souvent le pervers est dicté, animé par la jalousie, bien sûr,
10:50mais Claire aussi d'une certaine façon.
10:53– Oui, c'est-à-dire qu'il cherche aussi à susciter sa jalousie.
10:56– C'est un poison.
10:57– Il y arrive, oui.
10:59– Alors Pascal Kinnier, vous avez, je précise,
11:01reçu le Prix Goncourt en 2002 pour Les Ombres Errantes,
11:04c'était un ensemble de fragments, ces livres.
11:07Vous êtes passionné de musique, ça on le sait,
11:10vous jouez bien des instruments, mais notamment du violoncelle,
11:13de l'orgue aussi, on se souvient de Tous les Matins du Monde,
11:16ce beau film de 1991, d'Alain Corneau.
11:19Vous avez aussi eu le grand prix du roman de l'Académie française,
11:22je cite tous les prix parce que c'est important,
11:25en 2000 pour Terrace à Rome, ça c'est Trésor caché,
11:28l'histoire de Louise qui a une cinquantaine d'années,
11:31elle vit seule dans une maison de Lyon,
11:33elle est traductrice, correctrice,
11:36et puis elle enterre son chat et elle va découvrir
11:39à côté de la tombe de ce chat un trésor caché,
11:42qui va d'ailleurs lui permettre de voyager, c'est le titre.
11:45Mais ça évoque bien d'autres trésors, Pascal Kinnier,
11:48c'est pas uniquement ce…
11:50– Oui, le thème est tout simple, c'est une chasse aux trésors,
11:53qu'est-ce que dans nos vies, qu'est-ce qu'on préfère dans nos vies,
11:56qu'est-ce qu'on a le plus aimé, est-ce que c'est un lieu,
11:59un être, un animal, quel moment de saison, un jardin,
12:05toutes les possibilités.
12:07Et c'est bien, vous savez quand on dort pas très bien le soir,
12:10c'est bien de fouiller dans sa tête qu'est-ce qu'on aime le plus
12:13pour pouvoir se le préserver.
12:15– On cherche encore, on cherche les paysages.
12:17– Exactement, c'est ça.
12:19– Alors grâce à ce trésor quand même, elle va voyager, Louise,
12:22et notamment profiter de l'Italie, de Capri,
12:25que vous décrivez avec quelque chose de solaire,
12:28bien sûr cette beauté de ce pays,
12:30on sait qu'il vous tient particulièrement à cœur,
12:32on peut dire ça, Pascal Kinnier.
12:34Tous les pays à vrai dire, je me suis rendu compte en vieillissant,
12:37volcaniques, où on sent la terre qui tremble,
12:40où on sent qu'il y a une vie un peu plus forte,
12:43il y a un danger un peu plus grand, j'adore le Japon,
12:46je peux plus aller chez Erdogan en Turquie,
12:49mais j'adorerais Istanbul, bien sûr la baie de Naples,
12:53elle bouge toujours.
12:55– Oui, oui, alors elle va rencontrer un homme,
12:57je disais qu'elle vivait seule, elle va rencontrer un homme,
13:00c'est pas une histoire qui va durer, je vais pas raconter pourquoi,
13:03mais bien sûr, et sa vie va changer,
13:06donc c'est ce qu'on disait tout à l'heure,
13:08il y a quelque chose de possible, il y a une possibilité d'amour,
13:11il y a une… – Totale, totalement offerte,
13:14comme dans votre… totalement offerte par elle,
13:17malheureusement dans la maladie, et surtout en fait,
13:20là c'est un homme, l'homme qu'elle aime,
13:23se laisse confisquer, ça arrive,
13:25se laisse confisquer par l'amour qu'il a pour sa mère,
13:28et lorsque sa mère s'en va, lui-même se…
13:32se renferme, se renferme complètement,
13:35il y a parfois des…
13:37il y a quelque chose qui s'éteint,
13:39et qui m'aime, comment dire, plus que ça,
13:41qui se réduit complètement, qui refuse d'autre,
13:44qui refuse d'autre, oui, qui refuse d'autre,
13:46parce qu'on retombe en enfance,
13:48ou on a peur de sa propre mère,
13:50ou de sa propre mort, je veux dire,
13:52et la mort de sa mère, si.
13:54– Mais il n'y a pas de…
13:56on peut pas dire que si cet homme effectivement s'éloigne,
13:58c'est vrai, il n'y a pas de toxicité ?
14:00– Non, je ne crois pas.
14:02– Ce n'est pas la même chose, nous sommes d'accord.
14:04– Sinon, c'est peut-être très déroutant de voir quelqu'un qui…
14:06– Oui, c'est déroutant.
14:08– Comment dire, être préféré par un deuil,
14:10c'est quand même très désagréable,
14:12ce n'est pas très normal non plus,
14:14ce n'est pas très normal non plus.
14:16– Mais quand même, est-ce qu'on peut dire que
14:18vos deux tempéraments affleurent,
14:20peut-être je me trompe, mais il y a quelque chose
14:22de plus optimiste chez vous, Pascal Kignard,
14:24et de plus sombre chez vous, Camille Laurence,
14:26au travers de ces deux livres, je dirais.
14:28Parce que là, il y a une possibilité,
14:30il y a le soleil,
14:32il y a des paysages et la nature,
14:34et chez Claire,
14:36il y a quelque chose
14:38vraiment de tiré vers le sombre,
14:40vers la violence.
14:42– Elle n'est pas tirée seulement,
14:44elle est aspirée.
14:46– Elle est même aspirée malheureusement.
14:48– Malgré Manuel, mais il y a peut-être
14:50chez moi le fait que la vieillesse,
14:52je trouve de plus en plus,
14:54quand je compare à ceux qui sont mortaux,
14:56la vieillesse
14:58est une merveille quand même.
15:00On aimerait d'ailleurs que ceux qui sont mortaux
15:02aient pu connaître le fait de pouvoir
15:04s'enrichir,
15:06comparer toutes les expériences,
15:08comparer toutes les saisons,
15:10comparer tous les bonheurs.
15:12Il y a quelque chose d'enrichissant dans la vieillesse
15:14qui donne une espèce de bonheur
15:16et peut-être une moindre solitude
15:18à l'expérience.
15:20– Solitude plus acceptée.
15:22Mais ce n'est pas votre tempérament,
15:24il faut bien assumer ce que l'on est.
15:26– Non, mais je trouve qu'il y a
15:28effectivement beaucoup de bonheur
15:30dans le livre de Pascal Tignard.
15:32Il y a des instants,
15:34et puis c'est presque un rêve,
15:36un rêve de bonheur
15:38qui revient.
15:40J'ai noté une phrase
15:42parmi beaucoup d'autres,
15:44il est possible,
15:46c'est formulé sous forme d'hypothèse,
15:48il est possible que l'amour
15:50soit une tendresse pour la solitude de l'autre.
15:52Je trouve que c'est magnifique
15:54et il faut que ça soit réciproque,
15:56évidemment.
15:58– C'est-à-dire accepter l'autre.
16:00– Oui.
16:02– Alors que vous, Claire…
16:04– Comprendre sa solitude aussi.
16:06– Laisser l'autre dans sa solitude.
16:08– C'est ça, laisser l'autre dans sa solitude
16:10tout en étant là.
16:12– Ce qui n'est pas le cas
16:14ni de Claire ni de Gilles, on est d'accord.
16:16C'est vrai, on respire un peu
16:18avec votre livre et on suffoque presque
16:20à suivre, évidemment,
16:22cette emprise qui va
16:24tuer ce couple
16:26et précipiter
16:28Claire aussi dans ce procès.
16:30Alors, on peut dire que les moments
16:32de grande intensité, parce qu'à qui dire,
16:34sont liés à la nature.
16:36– Moins beaucoup, de plus en plus.
16:38Je trouve que c'est une invention
16:40presque plus merveilleuse que l'humanité.
16:42– Et que la musique.
16:44– Et même que la musique.
16:46La nature, les oiseaux,
16:48les mésanges.
16:50– Même avant la vie, la mer faisait du bruit.
16:52Même le Big Bang,
16:54il n'y a eu avant que l'espace.
16:56C'est l'espace, il y a eu un son
16:58dont on peut d'ailleurs
17:00regarder le vestige
17:02des astronomes
17:04sur le vestige de l'origine
17:06qui est un son.
17:08Mais la nature, je trouve ça tout à fait
17:10extraordinaire.
17:12Les arbres, les fleurs.
17:14Il y a un petit mot de Catherine Mansfield
17:16quand elle est morte, c'est de dire
17:18que c'était beau les fleurs.
17:20Je comprends, je comprends.
17:22– Oui, bien sûr.
17:24Ce qui est beau,
17:26c'est que cette Louise arrive à profiter
17:28de cette nature et même d'ailleurs de sa solitude.
17:30Il y a des descriptions de paysages
17:32même dans Lyon, pas qu'en Italie, bien sûr.
17:34Malgré, c'est ce qu'on sait,
17:36un traumatisme de l'enfance.
17:38Vous le dites clairement, la mère est partie.
17:40Qu'est-ce qui fait qu'elle est quand même
17:42attirée vers quelque chose de…
17:44– C'est la même raison.
17:46Parce que lorsqu'on a été carencé,
17:48pour se substituer à ce qui nous manque,
17:50à la mère qui nous manque,
17:52et bien souvent, ce sont les animaux domestiques
17:54ou bien ce sont les jardins.
17:56Et ça permet, parce qu'il y a une sorte de fidélité.
17:58Dans un jardin, ça revient tous les ans.
18:00Au moins, cette compagnie-là est fidèle,
18:02ce qui est quand même toujours…
18:04Et de même avec les chats ou les chiens.
18:06– Bien sûr.
18:08– Au moins, ils sont là, ils sont là.
18:10Et ils sont là sans compter.
18:12Ils sont là pour vous.
18:14– Alors, je trouve que c'est quand même
18:16de livre beaucoup sur la solitude des femmes.
18:18Enfin, je ne sais pas comment vous le ressentez.
18:20Mais l'un et l'autre, vous avez écrit là-dessus.
18:22Est-ce que c'est quelque chose
18:24qui vous est très personnel, Camille Laurence ?
18:26Est-ce que c'est, au fond,
18:28c'est un combat permanent ?
18:30Ou c'est quelque chose qu'on peut assumer ?
18:32Ou qu'avec l'âge,
18:34puisque Pascal Quignard se disait
18:36« Mais plus on est vieux,
18:38plus on a de problèmes,
18:40plus on est heureux en vieillissant. »
18:42Est-ce que…
18:44– Je pense que c'est aussi la solitude des hommes.
18:46C'est-à-dire, c'est la difficulté
18:48de la rencontre, justement,
18:50ce qu'on disait à l'instant.
18:52La rencontre des deux solitudes
18:54qui ne se fait pas, en fait.
18:56– Mais c'est surtout le fait
18:58qu'il ne faut pas qu'une solitude
19:00domine l'autre.
19:02Pour être heureux ensemble,
19:04il faut que les deux solitudes
19:06– Harmonieuses.
19:08– Harmonieuses, c'est-à-dire
19:10le matin, ou un moment,
19:12ou le dîner, mais qu'il ne faut pas
19:14cet étouffement terrible
19:16et ce rapport de force
19:18qui est absolument tout dur entre un homme et une femme.
19:20– Oui, mais il y a une obligation
19:22et parfois une espèce d'injonction sociale,
19:24notamment pour la femme, bien sûr,
19:26à ne pas vivre seule, on est d'accord.
19:28Cette solitude-là, elle est un peu difficile
19:30socialement à assumer, parfois.
19:32Peut-être moins pour l'homme, d'ailleurs.
19:34– Cela dit, dans votre livre…
19:36– Elle aime la solitude.
19:38– Et c'est ça qui la piège, à un moment,
19:40parce qu'elle n'est pas mécontente
19:42d'être chez l'autre aussi, toute seule.
19:44– Oui, c'est vrai.
19:46– Elle veut garder son lieu.
19:48– Oui, mais c'est aussi son lieu d'écriture.
19:50Elle aime la solitude
19:52parce qu'elle écrit.
19:54C'est le plus important
19:56et c'est cela aussi qu'il veut lui prendre.
19:58– Est-ce que ça vous a permis
20:00justement d'affronter
20:02des choses de la vie,
20:04l'écriture, la littérature ?
20:06– Ah oui, bien sûr.
20:08Pour moi,
20:10et j'ai transmis cela à mon personnage féminin,
20:12oui, c'est ce qui lui permet
20:14justement de se
20:18relancer dans le désir
20:20et dans la vie
20:22et de se réenchanter
20:24d'une certaine manière, en tout cas
20:26de pouvoir écrire la possibilité
20:28de se réenchanter.
20:30– Et d'ailleurs, ça suscite la jalousie de son compagnon.
20:32C'est bien ça le problème aussi.
20:34– Oui, mais ça c'est quelque chose que j'ai observé
20:36aussi autour de moi,
20:38parmi les amis artistes ou écrivaines,
20:40en tout cas de ma génération,
20:42c'est très difficile
20:44d'être une femme puissante.
20:46Pour un homme,
20:48c'est compliqué, ça reste compliqué.
20:50Alors j'espère que ça s'arrange
20:52pour les nouvelles générations.
20:54– Ça s'arrange, mais ça reste compliqué.
20:56Vous le constatez aussi, Pascal Kinnian ?
20:58Vous le ressentez comme ça ?
21:00– La vérité, c'est que les écrivains
21:02aiment être seuls.
21:04De toute façon,
21:06ils ont ce défaut-là.
21:08– Là, c'est vrai, tout à fait.
21:10– Ils aiment être seuls.
21:12Et nos sociétés, malheureusement,
21:14la solitude y est moins appréciée
21:16et les plus jeunes passent leur temps
21:18toujours avec une sorte d'autre mécanique
21:20mais qui n'aiment pas tellement
21:22être seuls.
21:24Donc on est des exceptions un petit peu.
21:26Mais je crois qu'il y a une grande liberté
21:28dans la solitude.
21:30– Oui, ça dérange.
21:32Mais ça peut déranger spécialement,
21:34ça peut heurter, ça peut surprendre,
21:36on peut être mis un peu au banc.
21:38Pourquoi tu n'as pas trouvé un compagnon ?
21:40– Ça n'a pas toujours été le cas,
21:42regardez, quand les chartreuses,
21:44les monastères, c'était magnifiquement vécu,
21:46la solitude.
21:48– Ça l'est moins aujourd'hui.
21:50– C'était pas du tout un défaut,
21:52c'était pas un défaut.
21:54– Il y a moins de vocation, on est d'accord.
21:56– On répond Dieu à la vocation.
21:58– Bien sûr, bien sûr.
22:00Est-ce que vous, l'écriture aussi
22:02vous a sauvé de certaines choses,
22:04Pascal Quignard ?
22:06– Ah oui, et de la société en particulier.
22:08– Et la société, oui.
22:10– Vous savez, c'est un vrai bonheur
22:12de pouvoir se retrouver dans son élément
22:14le matin jusqu'à 9, 10 heures,
22:16la journée est finie après pour moi.
22:18Et être complètement dans cette récapitulation
22:20et ce bonheur d'être soi,
22:22c'est un bonheur aussi.
22:24– Donc ça veut dire qu'il y a une discipline
22:26vous mettez à votre table.
22:28– Pas de vacances, pas de vacances au bonheur,
22:30pas de vacances au bonheur.
22:32– Bien sûr, et où que vous soyez.
22:34– Où que je sois, dans n'importe quel hôtel.
22:36– Vous écrivez dans des lieux précis, j'imagine.
22:38– Non, j'écris toujours au lit,
22:40donc dans n'importe quel hôtel, ça me suffit.
22:42– Ah oui, vous aussi Camille Grandon ?
22:44– Non, pas du tout, je n'ai pas du tout
22:46les mêmes horaires.
22:48– Vous écrivez toute la journée peut-être ?
22:50– J'écris plutôt l'après-midi,
22:52parce que Pascal Kinnian a l'air de dire
22:54là c'est un travail accompli,
22:56la mission de la journée.
22:58Et donc on peut profiter.
23:00– Oui, rester libre.
23:02Très belle vie que j'ai.
23:04– Très belle vie.
23:06Mais vous n'êtes pas heurté par…
23:08parce que Camille Laurence parle
23:10de cette condition féminine d'une certaine façon
23:12et des thèmes qui,
23:14aujourd'hui, nous occupent
23:16et occupent bien sûr la réflexion
23:18et qui ont suscité des prises de parole
23:20qui sont beaucoup plus libres.
23:22Cette société-là,
23:24j'allais dire patriarcale,
23:26est-ce que vous pensez qu'elle évolue ?
23:28Est-ce que vous pensez que tout ça va s'améliorer ?
23:30Va prendre fin ?
23:32Vous comprenez les…
23:34– Si je vois les tyrans qui, en ce moment,
23:36commencent à dominer la planète,
23:38je crains que ça ne va pas partir.
23:40Le patriarcat me paraît même,
23:42comment dire, plutôt despotique.
23:44– Oui, c'est ce que disait Camille Laurence,
23:46nous ne sommes pas dans un monde d'empathie,
23:48est-ce que vous avez eu beaucoup de témoignages
23:50de lecteurs ou de lectrices ?
23:52Parce que j'imagine que
23:54ce que vous décrivez est ce processus
23:56d'emprise psychologique.
23:58– Oui, j'en ai eu énormément,
24:00je suis même étonnée
24:02à quel point
24:04les lectrices s'identifient
24:06vraiment au personnage de Claire,
24:08ils me le disent,
24:10me demandent même
24:12si le personnage de Gilles
24:14me donne des noms en me disant
24:16que c'est lui,
24:18et vous dites, je ne sais pas.
24:20– C'est un personnage,
24:22des hommes qu'elles ont connus,
24:24elles croient que je les ai pris comme modèles,
24:26mais parce que cette structure
24:28est toujours la même,
24:30c'est un processus,
24:32séduire, réduire, détruire,
24:34toutes ces femmes l'ont connue
24:36à un moment ou à un autre.
24:38– Mais elles s'en débarrassent un peu plus vite
24:40aujourd'hui, plus facilement ?
24:42– J'ai l'impression,
24:44oui, je le dis,
24:46il y a beaucoup de jeunes femmes
24:48qui viennent me parler aussi.
24:50– Oui, et puis bon,
24:52comme on a dit tout à l'heure,
24:54il y a des femmes qui mettent sous emprise aussi.
24:56– Le désir de dominer n'est pas sexué,
24:58mais c'est affreux,
25:00le désir de dominer est affreux.
25:02– Oui, mais ce qui n'est pas propre
25:04à une société, nos sociétés…
25:06– Ah, c'est possible.
25:08– Disons que pendant longtemps,
25:10c'était plus facile pour un homme
25:12son désir de dominer.
25:14– Oui, c'est ça, voilà.
25:16– Alors, pour terminer cette émission,
25:18voici quelques coups de cœur d'abord de la rédaction.
25:20Le secret de leur vie, ça c'est
25:22Paul de Sinetti,
25:24qui est aux éditions du Serre,
25:26c'est un court récit, mais très beau,
25:28sur l'amour absolu au Moyen-Âge
25:30entre Sainte Elzéard
25:32et la bienheureuse Delphine.
25:34C'est donc, évidemment, le délégué général
25:36de la langue française qui écrit ce livre.
25:38Et puis personne ne sait,
25:40c'est un livre de Forest,
25:42chez Gadimar.
25:44C'est un petit livre assez merveilleux.
25:46Il est aussi question d'amour,
25:48parce que c'était un peu notre thème aujourd'hui,
25:50entre un peintre et une jeune fille.
25:52Et c'est évidemment un récit
25:54qui traverse le temps.
25:56C'est un peu sous la forme
25:58d'une sorte de conte new-yorkais,
26:00tout à fait magnifique.
26:02Et puis, pour ma part,
26:04je recommande un merveilleux traducteur
26:06qui est André Markovitch,
26:08et là, il s'attaque à Pouchkine
26:10quand il retraduit la poésie.
26:12Et évidemment, il nous explique
26:14que Pouchkine, c'était l'alpha et l'oméga
26:16de la littérature russe.
26:18C'est lui qui a, j'allais dire,
26:20fondé et après inspiré
26:22Chekhov, Dostoevsky,
26:24Gogol et bien d'autres.
26:26Donc il faut lire ce dictionnaire
26:28amoureux de Pouchkine,
26:30et puis aller voir, bien sûr, au théâtre,
26:32les pièces de Pouchkine,
26:34écrites en vers, notamment Eugène Honegging.
26:36C'est tout à fait remarquable.
26:38Alors, il me reste à remercier
26:40nos deux auteurs. J'étais ravie de vous recevoir.
26:42Camille Laurent, c'est « Ta promesse » chez Gallimard,
26:44et vous, Pascal Quignard, « Trésor caché »
26:46chez Albain Michel,
26:48deux histoires sur l'amour.
26:50L'une plus sombre,
26:52qui est dans le dur de la relation homme-femme,
26:54et puis l'autre, évidemment,
26:56un peu plus solaire, avec l'amour de la nature
26:58et la possibilité encore
27:00d'aimer, même assez tard,
27:02finalement, donc un peu plus optimiste.
27:04Voilà, on se retrouve très vite
27:06pour un nouveau numéro de Bonheur des livres,
27:08et vous pouvez bien sûr regarder cette émission à nouveau
27:10sur le site publicsenat.fr.
27:12À très vite.
27:14Musique
27:16Musique
27:18Musique
27:20Musique
27:22Musique
27:24Musique
27:26Musique
27:28C'était Au bonheur des livres,
27:30avec le Centre national du livre.