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Anne Fulda reçoit Nayla Chidiac pour son livre «L’écriture qui guérit» dans #HDLivres

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Transcription
00:00Bienvenue à l'heure des livres, Neila Chidiak.
00:04Alors, vous êtes psychologue clinicienne.
00:07Vous avez fondé des ateliers d'écriture thérapeutique à l'hôpital Saint-Anne, il y a quelques années.
00:12Vous avez déjà écrit un livre sur les bienfaits de l'écriture.
00:15Vous avez aussi publié des recueils de poésie.
00:17Et là, vous venez de publier L'écriture qui guérit, traumatisme de guerre et littérature,
00:22un livre qui est paru aux éditions Odile Jacob.
00:25Un livre dans lequel vous revenez sur un thème qui vous est cher.
00:29Vous qui êtes donc une spécialiste du trauma et de l'écriture thérapeutique,
00:32mais à travers un prisme particulier, celui de la guerre, celui des guerres,
00:36celle d'hier, celle d'aujourd'hui.
00:38Que l'écriture fasse du bien à l'âme, ça, on le sait depuis longtemps.
00:43Mais quand a-t-on découvert qu'elle pouvait avoir des vertus thérapeutiques,
00:47qu'elle pouvait, si ce n'est guérir, en tout cas apaiser des traumatismes liés à la guerre ?
00:53En fait, depuis très très très longtemps,
00:56il me revient un souvenir épique tête,
00:59qu'on dit être entre le 1er et le 2e siècle,
01:02je n'ai jamais compris pourquoi, mais bon, ce n'est pas grave,
01:04écrivait avant d'aller affronter la vie.
01:07Il disait, j'ai besoin d'écrire pour me sentir bien et aller affronter la vie.
01:12Donc, ça remonte à il y a très très longtemps.
01:14Avant même l'écriture, c'était l'oralité, de chanter, de raconter des histoires.
01:19Donc, ça existe depuis très très longtemps.
01:22Peut-être parce que l'animal humain qui est l'homme
01:27est le seul animal qui se raconte des histoires.
01:31On a ce besoin inhérent.
01:33Et pourquoi avez-vous choisi ce thème particulier
01:36des traumatismes de guerre, de l'écriture, pour guérir ces traumas-là ?
01:41Oui, alors c'est une question à la fois personnelle et professionnelle,
01:46c'est-à-dire personnelle par le fait que j'ai connu la guerre,
01:49comme je le dis dans le livre,
01:51mais aussi parce que mes lectures m'ont toujours passionnée.
01:54Ceux dont j'étais vraiment très impressionnée et accro à leur littérature,
02:01c'était des écrivains qui avaient vécu la guerre.
02:03Donc, je me suis dit, il doit y avoir quelque chose.
02:05Et de surcroît, mes patients, beaucoup d'entre eux,
02:08ont vécu la guerre d'une manière ou d'une autre.
02:11Alors, vous écrivez l'un des désastres majeurs de la guerre
02:14est la destruction de la pensée.
02:15La pensée est trouée, gelée, parasitée.
02:17La guerre détruit les liens en détruisant les lieux de culture,
02:20les écoles, les universités, les bibliothèques.
02:23Dans ce contexte, écrire, c'est presque faire de la couture,
02:27c'est rapiécer des morceaux et parts,
02:30c'est revenir à la vie, en fait, c'est ça, surtout ?
02:34Tout à fait, c'est revenir à la vie,
02:36c'est être en vie, passer du survivant au vivant,
02:40mais c'est aussi, suite à ce que vous avez cité,
02:43c'est aussi un acte de résistance.
02:45C'est-à-dire lorsque la guerre veut détruire et la pensée,
02:48et ce que la pensée a pu créer,
02:50eh bien, l'écriture va venir dire non.
02:54Alors, les guerres, il y en a toujours eu,
02:57il y en a encore, la guerre d'Ukraine,
02:59on sera bientôt aux 3 ans depuis...
03:02Enfin, on ne fêtera pas, ça sera les 3 ans
03:05depuis le début de l'offensive russe en Ukraine.
03:08Alors, certains écrivains ont parlé de la guerre
03:12depuis longtemps déjà, vous citez à un moment Anne Frankl,
03:15et là, pour aujourd'hui, pour l'Ukraine notamment,
03:17vous citez le journal de Yeva Shalyenka
03:20et celui d'Andrei Kourkov,
03:22dans un monde qui est dominé par les réseaux sociaux.
03:25Pourquoi, chez eux, c'est encore l'écrit
03:28qui est leur manière de résister, de se sauver ?
03:31Oui, absolument.
03:33Le journal de Yeva et celui d'Andrei Kourkov
03:36sont très émouvants.
03:38Il y a ce besoin presque charnel
03:41d'avoir un stylo à la main et de graver.
03:44C'est aussi un acte de vie.
03:46C'est vraiment un acte de vie, ce besoin de noter,
03:49de raconter, de se dire qu'on est vivant
03:52et aussi avoir l'espérance d'être lu.
03:55Est-ce qu'on peut écrire sur autre chose
03:58que la guerre en temps de guerre ?
04:00Est-ce que ce n'est pas plus difficile
04:02d'écrire une fiction ?
04:04Est-ce que la réalité terrible d'une guerre
04:07n'envahit pas tout, annile tout ?
04:09Si, vous avez absolument raison.
04:11Il est beaucoup plus difficile d'écrire un roman.
04:13Par exemple, si on prend Mrs Dalloway,
04:15qui change ses fleurs et qui va recevoir à dîner,
04:18est-ce qu'on peut se projeter aussi longtemps ?
04:20Il est difficile de le faire.
04:22Donc, écrire des fragments, de la poésie,
04:24de la correspondance, semble,
04:26le journal intime, bien évidemment,
04:28tenir un journal, c'est se tenir.
04:31C'est pouvoir tenir et affronter
04:33ces périodes sombres, voire apocalyptiques.
04:36Mais il y en a qui y arrivent.
04:38Dans la deuxième partie de votre livre,
04:40vous dressez un abécédaire
04:42d'écrivains qui ont écrit sur la guerre.
04:45On ne peut pas tous les citer.
04:47Vous commencez par l'écrivain biélorusse
04:49Svetlana Alexievich.
04:51Et vous citez surtout,
04:53et on terminera là-dessus,
04:55sur Georges Semproun,
04:57qui a raconté qu'il n'a pas pu écrire
05:00son fameux livre au titre,
05:02combien évocateur,
05:04L'écriture ou la vie, avant 15 ans.
05:06Il a fallu 15 ans entre la fin de la guerre
05:08et le fait qu'il puisse écrire.
05:10Absolument. Il le dit dans L'écriture ou la vie,
05:12qui est un roman essentiel.
05:14Il dit, il m'a fallu 15 ans
05:17pour oser affronter ce que j'avais vécu.
05:19Si je ne l'écrivais pas, je mourrais.
05:22Et si je l'écrivais, je mourrais aussi.
05:24Mais ce qu'il a fait d'intéressant,
05:26c'est qu'il a écrit ce qui s'est passé
05:28avant les camps.
05:30Il a écrit ce qui s'est passé après les camps.
05:32Mais il n'arrivait pas à écrire...
05:34Pendant.
05:36Il faut attendre 15 ans pour pouvoir le dire.
05:38Ça nous montre qu'il faut vraiment
05:40respecter la temporalité de chacun.
05:42Le trauma est quelque chose de très intime.
05:44En tout cas,
05:46je vous conseille de lire ce livre.
05:48Ça s'appelle L'écriture qui guérit,
05:50traumatisme de guerre et littérature.
05:52C'est paru aux éditions Odile Jacob.
05:54Merci beaucoup Neila Chidiak.
05:56Merci à vous.

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