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00:00Je suis quelqu'un qui regarde rarement en arrière et beaucoup devant.
00:02Bonjour, je suis Alexéla Rojoubert, je suis présidente d'une société qui s'appelle
00:05Banijé France, qui regroupe 17 sociétés et on est le premier groupe de production
00:11au monde.
00:12Si je devais me présenter, je dirais fière d'être toujours là, à pouvoir me présenter.
00:18C'est probablement l'un des éléments les plus difficiles, c'est de durer dans ce métier
00:22et de continuer à exercer un métier avec la même foi, la même envie, la même curiosité.
00:30Le même plaisir de regarder la télévision, de regarder des programmes.
00:33Il n'y a pas eu de peur de passer de productrice à patronne, déjà parce que j'étais patronne
00:37d'une société qui produisait.
00:38Donc ça fait très longtemps que j'ai un statut de présidente.
00:42Je crois que mon premier mandat, ça devait être au moment quasiment du lancement du
00:46Loft.
00:47Donc ça remonte à plus de 20 ans.
00:48On m'a beaucoup demandé ce que ça me ferait de ne plus produire.
00:51Et j'ai dit que j'avais mûrement réfléchi à cette question, évidemment, avant d'accepter
00:56ce job.
00:57Et au final, je pense que j'ai mis 30 ans à produire et que je suis très contente d'accompagner
01:03des producteurs.
01:04Je trouve que c'est plus intéressant.
01:05Par ailleurs, il y a toute une vision stratégique à 3-5 ans que je trouve passionnante, d'autant
01:10plus dans un monde en mouvement comme l'est actuellement l'audiovisuel.
01:14Il y a la satisfaction aussi, ce que je n'avais pas complètement appréhendé, de travailler
01:18plus proche de l'actionnaire, de travailler plus proche de mes homologues internationaux,
01:23d'échanger avec eux sur leurs problématiques et leurs stratégies, de voir « winter is
01:27coming » et donc de se prémunir de ça.
01:31Il était important que je raccroche les gants maintenant.
01:33J'ai une longue période à ma prise de fonction d'observation, de compréhension du secteur
01:38parce qu'il y avait quelque chose que je n'avais pas auparavant quand j'étais patron
01:41de filiales, c'est le rapport aussi avec l'actionnaire, le rapport avec mes homologues
01:45internationaux.
01:46Donc ça, une fois que j'ai appréhendé ça, puis toutes les fonctions support propres
01:51and holding, c'est de restructurer un peu le groupe.
01:54C'est-à-dire qu'on était assez éclatés, là je restructure le groupe de manière à
01:58ce que toutes les filiales soient les plus efficaces possibles et les plus puissantes
02:02possibles.
02:03Je pense qu'il y a une période d'éclatement des talents et maintenant il y a une période
02:09de consolidation des talents.
02:10L'avantage des changements, c'est que j'aime bien me remettre en cause, j'aime bien réfléchir
02:15à comment avancer.
02:16Donc on est, nous, dans une situation qui est un petit peu différente de nos amis diffuseurs.
02:20C'est-à-dire qu'on est des storytellers, on est des producteurs de contenu.
02:23Qu'on produise pour le linéaire, les streamers, c'est-à-dire Amazon, Netflix et les autres,
02:29ou pour YouTube, on exerce toujours notre métier.
02:32C'est juste que le support de diffusion, éventuellement la durée, les moyens changent.
02:36Donc ça, je pense qu'on est tous en train de s'adapter à ces changements-là.
02:40C'est un secteur qui fait beaucoup de bruit, mais qui est un petit secteur.
02:43Et c'est vrai qu'on a peu de clients.
02:46Il faut compter sur une dizaine de clients en France.
02:49Il y en a, au final, 3-4 qui ont vraiment les moyens d'investir à vos côtés pour
02:54mettre une production à l'antenne.
02:56Et donc, je suis pas en faveur d'une consolidation.
02:59Or, tous ces mouvements peuvent favoriser la consolidation.
03:02On a failli avoir la consolidation d'M6 et de TF1.
03:05On aurait suivi, évidemment, si ça avait été fait.
03:08Néanmoins, là, c'est quand même plus intéressant pour nous d'avoir deux partenaires plutôt qu'un.
03:12On est prêts à bouger vite, tout en analysant plus le marché et en ne se disant pas non
03:16plus qu'il faut aller dans la précipitation.
03:18On a la chance, nous, d'avoir une société qui est extrêmement stable, qui est internationale.
03:23On a énormément d'IP, donc beaucoup d'assets qui nous permettent aussi d'être probablement
03:29beaucoup plus puissants que d'autres entités.
03:33Donc, on a les moyens, nous, d'évoluer, mais de ne pas se faire dicter le timing de l'évolution.
03:40Il s'avère que si j'étais un bulldozer ou une machine de guerre, c'est parce qu'on
03:43me donnait des missions qui nécessitaient de l'être.
03:46C'est-à-dire produire des énormes barnum dans un temps record.
03:50C'est des choses comme ça.
03:51Et dans ces cas-là, pour le coup, on est en action.
03:54Et d'ailleurs, pendant très longtemps, je m'habillais avec un treillis, des baskets
03:57et un gros pull.
03:58Donc, j'étais vraiment dans ma tête en état de guerre.
04:01Là, en l'occurrence, ce n'est pas du tout ce qu'on me demande.
04:03Ce n'est pas du tout la manière dont je veux exercer ma mission.
04:06Et je n'ai pas besoin, d'ailleurs, de l'exercer comme ça.
04:09Donc, non, plus du tout maintenant.
04:10Je gère une holding qui est composée de plusieurs labels, de plusieurs filiales.
04:16Gérée par des producteurs de renom et qui exercent leur métier.
04:19Il s'avère que j'ai mis un orteil dans la fiction en produisant culte.
04:23C'était une envie que j'avais depuis longtemps de me frotter à ce secteur-là.
04:26J'attendais d'avoir le bon projet et la bonne légitimité.
04:29Je revenais du flux.
04:30C'est quand même un métier qui s'apprend.
04:32Et donc là, le fait de raconter l'histoire du loft, ça a été très agréable.
04:36Ce qui est très marrant pour moi, c'est que la télé-réalité, par exemple,
04:40c'est quelque chose qui se raconte beaucoup en post-production.
04:43On ne transforme pas les propos contrairement à ce qu'on croit.
04:45Et on travaille la matière que même on a accepté de nous donner.
04:49À l'inverse, la fiction, on fait dire ce qu'on veut à qui on veut.
04:52Et donc ça, c'est très nouveau pour moi.
04:54C'est une liberté auquel je ne m'attendais pas.
04:57Si j'avais un fait d'âme dont je dois
05:01m'enorgueillir, c'est probablement d'avoir produit
05:04Koh-Lanta pendant le Covid.
05:05On était 300, on était en plein Covid.
05:07À l'époque, le vaccin n'existait pas.
05:09C'était extrêmement compliqué.
05:10On attendait au bout du monde.
05:11S'il y avait un cas de Covid parmi les candidats,
05:14on arrêtait la production.
05:15Donc, je mettais en risque capitalistiquement la société
05:17parce que je n'étais pas assurée.
05:19Au-delà de l'expérience, ça, on sait que ça a été.
05:21On a apporté au public français un programme d'évasion
05:26à un moment très important pour eux.
05:27Et je pense que pour une fois, Koh-Lanta a une mission de service public.
05:31Moi, j'ai souvent dit que j'étais une risk taker.
05:33Quand on analyse ma carrière, c'est comme un risque
05:36qui est appréhendé après consultation.
05:39J'en réfère quand même toujours à mes actionnaires,
05:41c'est-à-dire qu'on ne met pas en risque
05:43un cadeau qu'on vous a donné.
05:44Parce que moi, on me donne le cadeau de gérer Benidje France,
05:47mais je n'en suis pas propriétaire, j'en suis salariée.
05:49Il faut quand même que vous convainquiez vos actionnaires
05:53que le risque est gérable ou en tout cas qu'il mérite d'être pris.
05:56Je suis une risk taker plus pour moi, en fin de compte,
05:59que pour mes actionnaires.
06:00C'est-à-dire que moi, je me suis souvent mis en risque.
06:02J'ai quitté en démol une main devant, une main derrière,
06:05sans chômage, en claquant la porte après 13 ans de boîte.
06:07J'ai quitté Canal de la même manière.
06:09Je suis quelqu'un qui n'est pas peur de partir
06:12si je ne suis plus heureuse.
06:14Ça fait 28 ans que je suis heureuse avec Stéphane Courby,
06:15qui est l'actionnaire de Benidje.
06:18Mais tout le monde sait que je n'ai pas peur de ça.
06:21Je pense qu'avant, j'avais un leadership
06:23où tout le monde devait monter à bord
06:24et ceux qui ne montaient pas à bord étaient oubliés sur le quai de gare.
06:27Et en fin de compte, j'ai probablement oublié des gens très bien sur le quai de gare.
06:30Donc j'ai appris à considérer que mon rythme
06:33n'est pas automatiquement le rythme de tout le monde
06:35et que le but, c'est qu'on y aille tous ensemble.
06:38Je suis capable de dire que c'est de ma faute, on a merdé.
06:41Et je pense que j'ai la chance aussi d'avoir un patron
06:44qui préfère que vous tentiez, quitte à vous tromper,
06:47que de ne pas tenter.
06:48Et puis sinon, je fais attention de ne pas faire des abus de pouvoir.
06:52Après, je reconnais qu'à un moment, il faut imposer sa vision.
06:56Mais j'essaie de ne pas le faire de façon trop dictatoriale.
06:59J'ai très clairement mis de côté une partie de ma famille et entre autres,
07:07je n'ai pas mis de côté mes enfants,
07:09mais j'ai créé un environnement aimant où je n'étais pas toujours présente.
07:14Et je veux croire, et d'ailleurs elle me le prouve,
07:17qu'elles vont très bien et qu'elles réussissent bien dans la vie
07:20et qu'elles grandissent, en tout cas avec les valeurs qui étaient importantes pour moi.
07:23Je n'ai pas l'impression d'avoir sacrifié quelque chose,
07:25j'ai l'impression d'avoir été une chanceuse
07:27et d'avoir exercé un métier passionnant
07:29où j'ai exercé plein de métiers dans le métier.
07:30Mes mecs vous diront peut-être que je les ai un peu sacrifiés.
07:33J'adore la jeune génération, je les trouve hyper sympathiques.
07:38Justement, ils ont dû répondre en quoi ?
07:39C'est-à-dire qu'ils n'ont pas…
07:42Alors quelquefois on peut prendre ça pour de l'irrespect,
07:44mais moi je prends ça plutôt pour un individualisme.
07:47Je dis souvent que cette génération,
07:48ils ont inventé l'individualisme dans le collectif
07:51et je trouve qu'ils poussent un peu les codes.
07:54Donc je les trouve beaucoup plus intéressants que nous.
07:56Moi je pense que j'étais un peu béné oui-oui et pourtant j'ai un gros caractère.
07:59Après, il ne faut pas se mentir,
08:02c'est des métiers qui demandent énormément d'investissement,
08:05de travailler énormément.
08:06Ce n'est pas vrai qu'on gagne beaucoup d'argent.
08:08Enfin voilà, c'est un métier dur.
08:10Et je trouve que quelquefois, ils ont une forme de velléité.
08:14Ils ont une vision un peu oui-oui
08:18de ce qu'est vraiment le métier et quelquefois il faut les recadrer un petit peu.
08:23Mais je pense que c'est aussi quelque chose de normal dans l'apprentissage
08:27que d'être recadré.
08:28Je pense que les femmes ont un défaut,
08:30c'est le syndrome de la bonne élève et du bon point.
08:33C'est-à-dire qu'elles considèrent que sous prétexte qu'elles ont bien travaillé,
08:36il faut qu'elles soient récompensées.
08:38Ça ne marche pas comme ça le monde du travail.
08:40Déjà parce qu'un patron, quand vous travaillez bien à un poste,
08:42il n'a aucun intérêt à vous faire évoluer.
08:44Donc il faut taper à la porte.
08:45Et ce que je dis toujours, c'est que vous tapez une première fois, il vous dit non.
08:48Une deuxième fois, il vous dit non.
08:48La troisième, il sera très emmerdé de vous dire non.
08:51Ou sinon, ça veut dire qu'il assume le fait que vous puissiez partir
08:53et dans ces cas-là, il faut partir.
08:54Il y a toujours eu des femmes en prod, contrairement à ce qu'on croit.
08:57En fin de compte, on les a toujours tolérées dans des rôles de production artistique.
09:01C'est-à-dire pas de dirigeante de société, mais de production artistique.
09:04Et je parle principalement du flux.
09:05Il y a des femmes dirigeantes de sociétés de production de fiction.
09:09Mais ce n'est pas exactement le même rythme.
09:11On va dire que c'est moins western que née la production de flux,
09:16c'est-à-dire tout ce qui est divertissement, variété, téléréalité, etc.
09:19Moi, je suis la seule patronne d'un gros groupe de production.
09:23Il y a une femme côté diffuseur, c'est Delphine Ernotte.
09:26Et c'est le service public, mais dans le privé, il n'y en a pas.
09:29Et il y en a bizarrement un peu plus chez les streamers,
09:32c'est-à-dire dans les boîtes américaines.
09:34On pourrait penser qu'ils sont plus machistes,
09:36mais on fait compte qu'ils sont beaucoup plus paritaires.
09:38Mais la réalité, c'est que c'est dur pour une femme.
09:40Ce qui est très inspirant quand même, c'est les rôles modèles.
09:43Moi, j'avais un rôle modèle qui s'appelait Pascale Brugnaud,
09:47qui était une grande, grande femme, à la fois physiquement et en puissance,
09:51du secteur de l'audiovisuel.
09:53Et elle m'a donné envie de la rejoindre à un moment et de travailler à ses côtés.
09:56Donc je pense qu'il faut des femmes qui parlent, qui s'expriment
09:59et qui aient le courage de parler haut et fort.
10:01Il faut prendre le micro, il faut savoir demander.
10:04Il faut, nous aussi, qu'on nomme des femmes présidentes.
10:06Par exemple, quand je suis arrivée ici, j'ai nommé deux femmes présidentes.
10:10Ce qui m'intéresse chez les gens, c'est plus leur faille que leur succès.
10:14Et d'ailleurs, je trouve que c'est toujours dangereux l'admiration
10:16parce que ça vous fait perdre du discernement.
10:19Or, je veux pouvoir critiquer quelqu'un comme je veux pouvoir être critiquée.
10:24J'ai eu des périodes de down, j'ai même eu des périodes où
10:27je me suis posé la question de reprendre des études vétérinaires.
10:30Et là, je me suis dit, comment je vais faire pour élever mes enfants ?
10:32Je regrette certains lancements de programmes que j'ai loupés
10:35et je m'aperçois que j'aurais eu des choix artistiques différents possibles.
10:38Il y a une très jolie phrase qui dit
10:41« le pessimisme est de nature, l'optimisme de volonté ».
10:45Je pense que moi, j'étais bien l'autiste.
10:47C'est-à-dire que je pense que l'optimisme est de nature.
10:49Donc je regarde devant, je rebondis assez vite.
10:52J'ai une grosse capacité de résilience.
10:54Et je pense aussi que quand vous travaillez avec des équipes
10:58en qui vous avez confiance,
11:00vous pouvez aussi vous appuyer sur eux à un certain moment.
11:02Pour durer, j'ai monté pas à pas toutes les marches
11:06qui m'ont menée là où je suis.
11:08Et je n'anticipe jamais la marche supérieure.
11:11Déjà parce que je suis une opportuniste, donc je saisis les opportunités.
11:14Parce que je ne sais pas comment je réagirai dans un an ou deux ans
11:17personnellement à ce que je suis en train de vivre en ce moment.
11:20Est-ce que ça me plaira encore ? Est-ce que ça ne me plaira pas ?
11:23Je suis ambitieuse, mais je suis ambitieuse de mes envies.
11:28Je ne suis pas ambitieuse d'un poste, d'une fonction, d'argent.
11:31Quand j'ai voulu reprendre Miss France, je voulais produire Miss France.
11:35Donc j'ai tout fait pour produire Miss France.
11:37Et je dis toujours aux jeunes femmes, si vous suivez vos envies,
11:40il y a un truc qui est génial, c'est qu'en général, vous faites bien votre job
11:43parce que ça correspondait à vos envies.
11:44Et donc parce que vous faites bien votre job, vous êtes récompensé
11:47et vous gagnez bien votre vie.